jeudi 29 décembre 2011

Agonie terminée, agonie interminable. Sur Maurice Blanchot

Philippe Lacoue-Labarthe


2011 - Galilée - "La philosophie en effet" - 26 €

Dans « Le miracle secret », Borges imagine la mort étrange d’un écrivain praguois que la Gestapo arrête en mars 1939 et condamne, au seul prétexte qu’il est juif et qu’il a été dénoncé comme tel, à être passé par les armes. La nuit qui précède son exécution, il a rêvé que la voix même de Dieu lui accorde le temps nécessaire pour achever son travail. Le lendemain à l’aube, entre le moment où les soldats du peloton braquent leurs fusils sur lui et celui de la décharge mortelle, le temps de l’« univers physique » est comme suspendu : l’écrivain remanie et accomplit en secret son « œuvre », à jamais pourtant inachevée.

À la considérer sous l’angle de son ultime « récit » publié, L’Instant de ma mort, et d’un énigmatique fragment « autobiographique » antérieur, « (Une scène primitive ?) », on est peut-être en droit d’estimer que le conte de Borges emblématise assez bien l’œuvre « désœuvrée » de Blanchot, tout entière écrite ou réécrite, achevée inachevable, dans le temps incommensurable qui sépare le 20 juillet 1944, date à laquelle il faillit être fusillé par les nazis (ou telle journée de l’hiver 1914 ou 1915, qui fut celle d’une extase enfantine), et la mort désormais survenue le 20 février 2003 : le temps atemporel de l’agonie native et de la mort immémoriale, « impossible nécessaire », qui aura autorisé la dernière méditation de celui qui avait interrogé sans relâche la Littérature ou l’Écriture dans sa possibilité même.

Ce livre tente de proposer une lecture de ces deux textes. Plus exactement, il les interroge pour mettre à l’épreuve ce qui, à travers la hantise du « mourir », s’est joué quant aux catégories majeures de la fiction et du mythe, du testimonial et du testamentaire, de l’aveu et du secret, de la non-présence à soi et du retrait, de l’autre (éthique) et de l’être-ensemble (politique), etc. Mais surtout quant à ce qu’il faut bien se résoudre à nommer l’écriture posthume de Blanchot.

dimanche 25 décembre 2011

Opus dei archeologie de l'office, homo sacer II, 5.

Giorgio Agemben


Janvier 2012 - Seuil - 19 €

Si la philosophie politique ne se donne pas pour tâche de nettoyer la situation verbale, d'entreprendre une critique radicale de sa tradition et de son vocabulaire, elle se trouve dans une situation qui n'est pas sans rappeler celle que décrivait Pasolini : un homme utilise un horaire des chemins de fer périmé et s'étonne de ne pas voir passer les trains.
Poursuivant l'archéologie entamée dans Le Règne et la Gloire, Giorgio Agamben mène dans ce nouvel ouvrage l'enquête sur la signature théologique des concepts cruciaux de la pensée morale et politique contemporaine. Comment penser l'action aujourd'hui ? Comment articuler action et œuvre ? Alors que ces questions agitent la philosophie morale mais aussi les discussions politiques les plus vives, Giorgio Agamben se tourne vers leur passé théologique.
A partir d'une archéologie de l'Opus Dei - l'Oeuvre de Dieu - et ses notions fondamentales telles que la liturgie, le sacerdoce ou l'office, le philosophe italien montre que l'Eglise a inventé un nouveau paradigme ontologique et pratique dans lequel l'être prescrit l'action, mais l'action définit intégralement l'être. Et ce paradigme " offert à l'action humaine s'est révélé constituer pour la culture séculaire de l'Occident un pôle d'attraction étendu et constant ".


Darwinisme et marxisme

Patrick Tort et Anton Pannekoek



Janvier 2012 - Arkhe editions - 19 €

Au cours de l'année 1909, l'astronome et astrophysicien révolutionnaire hollandais Anton Pannekoek (1873-1960), à l'occasion du centenaire de la naissance de Charles Darwin (1809-1882), publie un essai intitulé Darwinisme et Marxisme. Ce spécialiste reconnu des révolutions cosmiques y interroge la plus grande révolution biologique du XIXe siècle pour tester sa relation possible avec la révolution politique placée par Marx à l'horizon du processus historique. Ce faisant, il affronte un héritage : celui d'une intuition critique de Marx, inscrite dans une lettre à Engels du 18 juin 1862, selon laquelle, en dépit de l'intérêt manifeste qu'offre chez lui un matérialisme naturaliste apte à servir de socle au matérialisme historique, Darwin n'aurait fait en définitive que projeter sur la nature le schéma social de lutte concurrentielle qu'il avait emprunté à Malthus -, ce qui pouvait lui permettre en retour de naturaliser ad aeternum la structure même de la société capitaliste. Les positions anti-malthusiennes exprimées par Darwin en 1871 dans La Filiation de l'Homme donneront tort à Marx, qui a cédé trop tôt au devoir militant de combattre certains "darwinistes bourgeois", et qui ne pouvait en tout état de cause avoir lu en 1862 l'ouvrage au sein duquel Darwin allait exposer ouvertement sa théorie du dépérissement de la sélection éliminatoire au profit des conduites bienfaisantes, coopératives et altruistes dont s'accompagne l'extension indéfinie du processus de civilisation. Pannekoek, lui, a lu La Filiation. Comme il a lu, à l'opposé, Spencer, véritable inventeur de ce que l'on nommera plus tard, malencontreusement, le "darwinisme social". Il en résulte l'idée que Darwin et les "darwinistes sociaux", ce n'est pas la même chose. Et que darwinisme et marxisme ne sont plus incompatibles, mais, effectivement, complémentaires, à condition de pouvoir penser, entre l'histoire de la nature et l'histoire des sociétés, le recouvrement partiel des échelles temporelles et la combinaison connexe des tendances évolutives. Au coeur de cette problématique fondamentale, Patrick Tort, explique, dans son introduction et ses commentaires intercalés, l'intérêt, les enjeux et les limites du travail effectué par Pannekoek autour de ces questions majeures de la pensée contemporaine, et propose des clés pour mieux les comprendre.

jeudi 15 décembre 2011

Philosophie des possessions

Didier Debaise (Ed.)

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Décembre 2011 – Les Presse du Réel – Collection Relectures – 22 €

Edité par Didier Debaise.
Textes de Didier Debaise, Michael Halewood, David Lapoujade, Bruno Latour, Pierre Montebello, Camille Riquier, Isabelle Stengers, Olivier Thiery.

Une série de portraits de penseurs restés en marge des mouvements majoritaires de la philosophie contemporaine, réunis autour du thème de la « possession » : une enquête sur la manière dont les divers modes de possession (toutes opérations par lesquelles des éléments physiques, biologiques, psychiques ou techniques sont intégrés, capturés par un être qui les fait siens) permettent d'envisager des projets de reconstruction métaphysique originaux en dialogue avec des champs d'investigation hétérogènes – de la psychologie expérimentale aux sciences sociales et politiques, en passant par la philosophie de la nature, de la biologie et de la perception.

Tout au long du XXe siècle, une série de théoriciens, plus ou moins minoritaires, introduisent un nouveau genre de questions, faisant directement communiquer la philosophie avec les sciences sociales, la psychologie et l'esthétique. Comment un individu se constitue-t-il par des activités possessives ? Avec quelle intensité un être en possède-t-il un autre ? Quelle est l'étendue spatiale et temporelle de ces possessions ? Et quelles en sont les techniques ?
Ce livre tente, à partir d'une série des portraits – Gabriel Tarde, William James, Alfred North Whitehead, John Dewey, Charles Péguy, Etienne Souriau, Raymond Ruyer et Gilbert Simondon –, de donner une nouvelle actualité à la question de la possession et, par là même, de mettre en évidence une autre scène de la philosophie contemporaine.

Didier Debaise, docteur en philosophie, est chercheur au FNRS et enseigne la philosophie à l'Université Libre de Bruxelles. Il travaille principalement sur les formes contemporaines de la philosophie spéculative et les théories de l'événement. Il est notamment l'auteur d'un livre intitulé Un empirisme spéculatif.

mercredi 14 décembre 2011

Cahiers de lexicologie, n° 99 (2011 – 2) - Lexique et philosophie

Décembre 2011

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Classiques Garnier – 45 €

Le numéro 99 des Cahiers de lexicologieLexique et philosophie – est la contribution de la sémantique lexicale à l’analyse conceptuelle. Il s’articule en trois sections: une générale, concernant les universels, les rapports langue-pensée et individus-catégories en langue; une appliquée, concernant l’expression et la conceptualisation de l’espace, des sentiments et des couleurs, la sémantique de vrai, faux, bien et la notion de norme. Une dernière section présente les perspectives informatiques dans l’élaboration d’ontologies naturelles.

Une autre existence - La condition animale

Florence Burgat

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Janvier 2011 - Albin Michel - Bibliothèque Idées – 24 €

Il faut modifier radicalement notre façon de parler des animaux et reconnaître l'évidence de la condition animale, ne plus penser uniquement par rapport à l'être humain ou par rapport à la nature.
Pour cela, l'auteur propose un parcours critique à travers les philosophies qui ont pensé l'animal. Florence Burgat montre comment l'existentialisme (Sartre et Levinas notamment), plus encore peut-être que la philosophie classique, a liquidé et interdit la question de l'animal. Elle explicite ces positions en développant le thème de l'organisme, non plus en tant que machine mais organisation, et démontre que le sens biologique est autre chose que l'ensemble des parties d'un animal, et qu'il fonde cette conscience animale dans l'angoisse dont les animaux sont atteints.
Elle questionne la condition animale, et s'interroge sur la subjectivité des animaux, mettant en évidence leur pensée, leur résistance, avant d'attaquer les traitements inhumains et indifférents qui leur sont souvent réservés, dont elle dénonce l'idéologie sous-jacente. Enfin, avec l'évidence de la pratique de l'art chez les animaux, l'auteur propose une réflexion sur le symbolique et sur la capacité à symboliser, montrant, pour conclure, que les animaux sont " sujets d'une vie ".
Une invitation à dépasser le cadre de la compassion pour fonder notre changement d'attitude sur la base d'une phénoménologie de l'existence animale, ce qui a des conséquences également sur notre façon d'appréhender la vie humaine.

La République de Platon

Alain Badiou

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Janvier 2011 – Fayard – 25 €

La République de Platon est peut-être le texte le plus connu, le plus traduit et le plus commenté de toute l’histoire de la philosophie.
Mais comment restituer la vérité de cette œuvre aujourd’hui, 2500 ans après sa rédaction? Alain Badiou a choisi d’inventer un genre nouveau pour rendre au texte de Platon son universalité et sa vivacité sans passer par un commentaire critique. Il a traduit l’œuvre à partir de l’original grec et a procédé à quelques changements afin de l’adapter à notre temps. Tout d’abord, il a supprimé toute référence aux particularités de la société grecque antique, des interminables développements sur la valeur morale des poètes aux considérations politiques destinées par Platon à la seule élite aristocratique (les mesures révolutionnaires que Platon réserve aux seuls « gardiens » de la cité valent, sous la plume de Badiou, pour tous les habitants du pays).
Il a élargi les références culturelles : la philosophie fait feu de tout bois, ainsi Socrate et ses compagnons connaissent-ils Beckett, Pessoa, Freud et Hegel. Ils  réalisent l’actualité intemporelle de toute philosophie véritable, propre à s’ajuster à son époque. Enfin, Badiou, par ailleurs dramaturge, a fait du dialogue socratique une véritable joute oratoire : dans cette version de la République, les interlocuteurs de Socrate ne se contentent pas d’approuver ce qu’énonce le Maître.
Ils lui tiennent tête, le mettent en difficulté et livrent ainsi une pensée en mouvement. Grâce à ce travail d’écriture, d’érudition et, avant tout, de philosophie, Alain Badiou donne à lire pour la première fois une version absolument contemporaine, vivante et stimulante du texte de Platon. (Présentation de l’Editeur)

Le Travail sans fin. Discours et représentations à l’oeuvre

RAISON PUBLIQUE N°15 - DOSSIER COORDONNÉ PAR SYLVIE SERVOISE

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Décembre 2011

Le thème de la fin du travail traverse de multiples horizons. De la promotion d’une automatisation toujours plus avancée de la production à l’affirmation d’un « droit à la paresse », en passant par la critique écologiste du productivisme et de la société de consommation, il exprime une diversité de perspectives qui pourrait nous faire perdre de vue l’unité d’un questionnement qui interroge fondamentalement la valeur travail telle qu’elle se pose et se pense aujourd’hui. Bien loin de constituer un vecteur d’émancipation et d’humanisation, le travail serait en effet devenu cette forme d’aliénation dont il est souhaitable de se libérer. Un monde sans travail serait-il alors l’utopie de notre temps ?

Très influente dans les années 1980 et 1990, une telle perspective se nourrissait alors d’un diagnostic alarmant et juste quant à la dégradation du marché de l’emploi et des conditions de travail. Si le travail pouvait avoir un sens, nul doute qu’en auraient raison le chômage de masse, la précarisation de l’emploi et la montée en puissance d’un discours managérial intégralement soumis, au nom d’une concurrence mondialisée, à des impératifs de rentabilité économique toujours plus contraignants. Cette perspective n’épuisait toutefois pas le sens de ce qui survenait alors dans ce domaine. La raréfaction de l’emploi, la mise en cause de la condition salariale, la détérioration des conditions de travail, bien loin de le déstabiliser comme valeur et comme statut, ont entraîné son fort réinvestissement social, politique, intellectuel et culturel. Critiqué, le travail semble de fait n’avoir jamais été autant désiré. Dans le contexte de ces transformations, quel sens conserve le travail ?

C’est à ce niveau que le présent dossier se situe. Comment la question des finalités du travail est-elle appréhendée dans les discours et représentations ? Comment les sciences sociales, la philosophie, la littérature, les documentaires, les arts en général, la prennent-ils en charge, la nuancent-ils, la reconfigurent-ils ? Dans l’espace de la réflexion ici menée, tous les types de discours et d’écriture, tous les genres et toutes les disciplines ne sont pas représentés. Les chemins explorés – de la littérature au documentaire en passant par l’histoire des idées et la philosophie – offrent cependant un aperçu saisissant des problèmes que le travail pose aujourd’hui et des interrogations auxquelles il donne lieu.

samedi 10 décembre 2011

Sur l'Etat. Cours au collège de France (1989-1992)

Pierre Bourdieu


Janvier 2011 - Seuil - 29 euros

Transversale à l'oeuvre de Pierre Bourdieu, la question de l'Etat n'a pu faire l'objet du livre qui devait en unifier la théorie.
Or celle-ci fournit à bien des égards la clé d'intégration de l'ensemble de ses recherches. Etudier cet " objet impensable ", c'est en effet appréhender le lieu d'où, dans les sociétés modernes, tous les pouvoirs tirent en dernière instance leur légitimité et leur autorité. Dévoilant les illusions de la " pensée d'Etat ", vouée à entretenir la croyance en un principe de gouvernement orienté vers le bien commun, comme celles de l'" humeur anti-institutionnelle ", qui résume la construction d'un appareil bureaucratique à une fonction de maintien de l'ordre social, Pierre Bourdieu montre que cette " fiction collective " aux effets bien réels est à la fois le produit, l'enjeu et l'espace ultimes de toutes les luttes d'intérêts.
Mais, à rebours de sa réputation de théoricien ardu, cette transcription donne aussi à lire un " autre Bourdieu ", d'autant plus concret et pédagogue qu'il livre sa pensée en cours d'élaboration. A l'heure où la crise financière permet à des instances supranationales de hâter le basculement du rapport de force et de condamner, au mépris des démocraties, les services publics au démantèlement, cet ouvrage apporte enfin les instruments critiques nécessaires pour assumer, en toute lucidité, un rôle de citoyen.

vendredi 9 décembre 2011

Georges Canguilhem, Œuvres complètes Tome I : écrits philosophiques et politiques (1926-1939)

Préface de Jacques Bouveresse


Vrin, « Bibliothèque des Textes Philosophiques », 2011

Georges Canguilhem fut un personnage majeur dans l’univers intellectuel français de l’après-guerre. Pendant longtemps, sa notoriété a largement reposé sur ses travaux d’histoire des sciences, et ses vues originales sur la technique. Aux yeux de ses disciples, il apparaissait comme un maître dans le maniement rigoureux des concepts, avec une attention particulière aux sciences de la vie et aux pratiques de la médecine.
Depuis une décennie, on a le sentiment que ses écrits et sa personne, au-delà de cette spécialisation de l’exercice philosophique, sollicitent l’intérêt et les recherches de publics nouveaux, dépassant largement les cercles de ceux qui l’ont connu. Le premier volume de ces Œuvres Complètes devrait aider à comprendre ce phénomène : Georges Canguilhem est sans aucun doute un représentant de l’école française d’histoire des sciences, mais cette spécialisation intellectuelle repose sur un engagement philosophique, politique, profond, passionné, parfois virulent, dont va témoigner son engagement dans la Résistance. C’est ce qui devrait apparaître aux lecteurs des textes publiés par le jeune Canguilhem, de 1926 à 1939.
Réunis et présentés par un collectif d’universitaires et de jeunes chercheurs, ces textes sont regroupés en trois parties : l’ensemble des articles de revues, lettres et divers documents de circonstance, le fascicule Le Fascisme et les paysans de 1935, et le Traité de Logique et de Morale, publié à compte d’auteur à Marseille en 1939, avec Camille Planet.

mardi 6 décembre 2011

Paul Ricœur et l’histoire

Archives de Philosophie, Tome 74, 2011/4

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hiver — octobre-décembre 2011 - Editeur : Centre Sèvres

La question de l'histoire...
... n'a cessé, en même temps que celle du temps, d'être l'objet des réflexions de Paul Ricoeur depuis le tout début des années 1950, comme en témoignent ces quelques lignes écrites en conclusion d'un article de 1953 - "L'histoire de la philosophie et l'unité du vrai" -, destiné à un volume d'hommages à Karl Jaspers : « L'histoire veut être objective et elle ne peut pas l'être. Elle veut rendre les choses contemporaines, mais en même temps il lui faut restituer la distance et la profondeur de l'éloignement historique ».

Marc de LAUNAY, Jean-Claude MONOD / Présentation   
Françoise DASTUR / La critique ricoeurienne de la conception de la temporalité dans Être et temps de Heidegger   
Alexandre ESCUDIER / L'herméneutique de la condition historique selon Paul Ricœur   
Myriam REVAULT D'ALLONNES / La vie refigurée : les implications éthiques du récit   
László TENGELYI / Refiguration de l'expérience temporelle selon Ricoeur   
    
David LEMLER / Noachisme et philosophie. Destin d'un thème talmudique de Maïmonide à Cohen en passant par Spinoza   
    
Comptes rendus / VOLTAIRE, Œuvres complètes. Questions sur l'Encyclopédie, par des amateurs (C. Duflo) — Philippe BÜTTGEN, Luther et la philosophie (M. de Launay) — Emmanuel HOUSSET, Husserl et l'idée de Dieu (L. Gallois) — Jean GRONDIN, Hans Georg Gadamer. Une biographie (G. Petitdemange)    
Bulletin de littérature hégélienne XXI   
Bulletin de bibliographie spinoziste XXXIII

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lundi 5 décembre 2011

L'Etat-monde - Libéralisme, socialisme et communisme à l'échelle globale

Jacques Bidet

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Novembre 2011 – PUF – “Actuel Marx Confrontation” – 27 €

A lire comme on lit un roman policier : comme une analyse complexe mais systématique qui vous entraîne là où vous ne voudriez pas aller.
L'argumentaire met aux prises philosophes (Spinoza, Kant, Hegel, Althusser, Derrida, Habermas, Honneth), historiens du moderne (Brenner, Meiksins Wood) et du global (Wallerstein, Arrighi, Sassen), Schmitt, Bourdieu et Foucault. Il fait apparaître qu'émerge, derrière notre dos, un État-monde de classe articulé au Système-monde impérialiste. Une anti-utopie, donc. Une thèse réaliste, qui n'est pas celle d'un État mondial.
Ou bien comme on lit un recueil de nouvelles liées les unes aux autres : comme autant de mises en perspective du même sujet. On peut ainsi scruter chaque chapitre pour lui-même. Les uns s'adressent aux économistes, d'autres aux sociologues et aux politologues, d'autres encore aux féministes, altermondialistes, théoriciens du discours ou chercheurs du postcolonial, d'autres enfin aux historiens, juristes ou géographes.
Ils prennent chaque destinataire sur son terrain "scientifique" particulier. En y impliquant chaque fois le philosophe, c'est-à-dire aussi le citoyen. Il n'y a qu'une seule idée, un seul paradigme : une théorie. Il s'agit bien sûr de transformer le monde, mais en commençant par le comprendre, là où Marx a en partie échoué. C'est donc aussi une refondation du marxisme qui est proposée. Ce livre est le quatrième d'un ensemble publié aux PUF - Que faire du Capital ?, 1985, Théorie Générale du droit, de l'économie et de la politique, 1999, Explication et reconstruction du Capital, 2004 - qui a fait l'objet de traductions en une dizaine de langues étrangères.

dimanche 4 décembre 2011

Poésie de la pensée

George Steiner

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Novembre 2011 – Gallimard – “Essais” – 20 €

Les praticiens l'ont toujours su. Dans toute philosophie, concédait Sartre, il y a "une prose littéraire cachée". Ce qu'on a moins élucidé, c'est la pression formatrice incessante des formes du discours, du style, sur les programmes philosophiques et métaphysiques. A quels égards une proposition philosophique, même dans la nudité de la logique de Frege, est-elle une rhétorique ? Veut-on dissocier un système cognitif ou épistémologique de ses conventions stylistiques, des genres d'expression qui prévalent ou sont contestés à l'époque ou dans le milieu qui sont les siens ? Dans quelle mesure les métaphysiques de Descartes, Spinoza ou Leibniz sont-elles conditionnées par les éléments constituants et l'autorité sous-jacente d'une latinité partiellement artificielle au sein de l'Europe moderne ? Quand, tels Nietzsche et Heidegger, le philosophe entreprend d'assembler une langue nouvelle, son idiolecte propre à son dessein est lui-même saturé par le contexte oratoire, familier ou esthétique. L'association étroite de la musique et de la poésie est un lien commun, toutes deux partageant les catégories du rythme, du phrasé, de la cadence, de la sonorité, de l'intonation et de la mesure. "La musique de la poésie" est exactement cela. Y aurait-il, en un sens apparenté, "une poésie, une musique de la pensée" plus profonde que celle qui s'attaque aux usages extérieurs de la langue, au style ? Ces aspects de la "stylisation" de certains textes philosophiques, de l'engendrement de ces textes via des outils et des modes littéraires, George Steiner nous les restitue dans son souci d'"écouter plus attentivement".